Rachelle

Rachelle
26/09/1969
22/06/2005

La naissance d'un enfant différent

Son enfant,
On l'attend, on le voit naître, on veut le voir grandir, on souhaite voir réalisés tous ses projets au fil du temps.
Cet écrit n'est rien d'autre que le témoignage de parents sur une situation que l'on méconnaît et dont on ne parle pratiquement jamais : la naissance d'un enfant porteur d’une infirmité.

Ce récit retrace toutes les difficultés que rencontrent et auxquelles font face ces jeunes couples et leurs parents, bien souvent désorientés et même anéantis.
Notre fille Rachelle est venue au monde en septembre 1969. Nous nous sommes rendus compte très vite, après quelques semaines de vie et d'observation, que son rythme de vie n'était pas naturel. Ses difficultés d'alimentation, ses pleurs, son sommeil nous ont alertés.
A partir de là, tout s’est enchaîné rapidement : consultations auprès du médecin traitant, du pédiatre, de professeurs en milieu hospitalier. Après que de nombreux examens aient été réalisés, le diagnostic posé nous a été révélé : notre fille présente un handicap moteur cérébral sévère, la maladie de Little.
Cette révélation nous a laissés pratiquement assommés sans même la possibilité de comprendre et de pouvoir gérer la situation, mettant dans ce même temps notre entourage familial dans l'embarras.
Les mois passant, la nécessité de s'orienter vers une solution autre que le maintien à domicile fut envisagée.
Cependant, le manque d'établissement et de place disponibles exclurent la possibilité d’un placement. C'est alors qu'il nous fallut faire face à cette situation ouvrant sur des perspectives difficiles et donc continuer à assurer nous-mêmes le quotidien de Rachelle : soins, repas, toilette. Mais aussi lui apporter un confort de vie, un rayonnement, de la gaieté pour donner du sens à sa vie et à sa condition. Car notre fille était parfaitement lucide sur son état. Même si la parole lui manquait pour le dire.
Mon épouse, en première ligne, assuma cette charge de travail, disponible pour sa fille de jour comme de nuit.
Au fil du temps, une complicité s'est installée. Pour répondre à ses besoins, son seul regard - perçant, lumineux, fusionnel - nous permettait de comprendre ses envies, ses joies mais encore ses douleurs.
Les années passèrent comportant des périodes douloureuses - comme des interventions chirurgicales lourdes et risquées, visant à améliorer son confort physique, son état organique s'étant entre-temps détérioré - mais aussi des périodes plus sereines.
C'est en janvier 2005 que son état de santé s'est très nettement dégradé. Et c’est un soir de juin que ce que les médecins nous avaient annoncé et ce à quoi tout notre être se refusait à croire est arrivé…L’inimaginable, l'impensable :

Rachelle s'en est allée…

Sentiment d'échec total, d'absurdité, nous faisant basculer dans la détresse la plus profonde. Impression de déchirure physique, d'amputation ? Rien ne sera plus comme avant. L'avenir sans notre fille nous parut impossible à vivre, la vie devenant comme une impasse. Il fallut entamer une reconstruction. La disparition d'un enfant, tragédie par excellence, n'est pas dans l'ordre naturel des choses. Se reconstruire, apprivoiser l'absence et tenter de refermer cette blessure que l'on croyait à jamais béante…
Huit années se sont écoulées depuis le départ de Rachelle. Le malheur causé par sa disparition ne nous fera cependant jamais oublier le bonheur de l'avoir connue. Encore un grand merci à sa Maman pour son courage, son dévouement et son abnégation, tous ces soins donnés, toute l’attention qu’elle eut pour elle, jusque dans les moindres détails. Et cela dans un cadre familial organisé qui, avec notre proximité et celles de sa sœur Christelle et de Christophe a contribué au prolongement de sa vie terrestre.
Aujourd'hui notre sentiment est celui d'avoir accompli ce qu'il convenait que nous fassions au regard de la situation de Rachelle : pallier son handicap, adoucir sa douloureuse épreuve.
Notre grand regret toutefois : sa sœur Christelle qui n'a pas pu recevoir de notre part toute l'affection et l’attention qu’elle était en droit d’attendre de ses parents. Affectée, directement et indirectement, par l'infirmité de sa sœur, elle s'est élevée seule, sans bruit. Mais elle savait l'ampleur de notre tâche et la rudesse de l’épreuve.
Rachelle s'en est allée. Son dernier regard lucide, adressé à sa sœur et à son mari Christophe fut un message d'amour. Un au revoir et non pas un adieu.
Et puis Mathis, notre unique petit fils, est né quelques semaines plus tard. Mathis, faisceau de lumière dans nos vies, qui nous apporte ainsi qu'à ses parents bonheur et apaisement.

Jacqueline et Jean Mary